
Depuis ma cinquantaine, je me trouve en pleine réflexion sur le corps vieillissant de la femme. J’ai un corps, le mien : le corps que je suis, de tous les jours. Celui que j’ai formé par des heures de pratique en danse, le corps fait de chair, de muscle, de sensations, d’expériences et d’intelligence, qui travaille fort pour créer toutes les illusions et les images dans un contexte chorégraphique donné. C’est avec et par ce corps-là que je vieillis.
En me tournant vers la thématique de l’âge, une lenteur extrême s’est emparée de moi jusqu’au point de ralentir ma perception du passage du temps. J’ai plongé dans la notion de stillness, mot anglais intraduisible en français, qui suggère non pas l’immobilité mais un état de pause qui respire. Et par le stillness, j’ai découvert le silence : un autre état de présence qui m’a mis en lien direct avec une sorte d’éternel présent. Je suis fascinée par le point de rencontre entre ces différents concepts de temps, stillness et silence, et donc enchantée par votre appel de projets.
À travers mes recherches, j’ai développé une partition improvisatoire (un score) que je joue, visite et revisite dans différents lieux. Pour l’instant, voici le score que je pratique:
– start with stillness and breath
– notice sensation in stillness
– when you notice the passing of time, come back to sensation and breath
– when you notice your immediate environment, come back to sensation and breath
– when something grabs your attention, see how you want to move
– come back to sensation and breath
– notice time passing, see how you want to move
– notice your breath, see how you want to move
– come back to sensation et ainsi de suite…
Avec ceci, j’ai performé Wall Series. Sur 3 semaines pendant l’été 2017, j’ai habité le mur Est du magasin MILLIONS TAPIS ET TUILES, dans le Mile-End. Chaque jour je pratiquais mon score le long du mur en voyageant continuellement entre les trois entités de sensation physique, perception du temps et environnement.
Ma relation avec chacune de ces trois entités se transformait continuellement avec chaque évasion et retour, chaque escale en cours de route. Comme une méditation, je remarquais où mon attention était interpellée et, tout en douceur, je la ramenais au droit chemin de ma sensation physique. Chaque jour, j’en ressortais comme si j’avais exécuté un mini-pèlerinage vers moi-même : une sorte de voyage à travers le temps, mes souvenirs, mes batailles, mes questions, mes craintes, mes espoirs.
C’est un départ pour moi de suivre la sensation dans le contexte urbain où je vis. C’est justement ce manque de contrôle de l’environnement que j’invite, presque comme un défi, à me marquer, me dérouter, me transformer lors de la performance.
Le fait d’être dehors ajoutait beaucoup d’éléments imprévisibles à mon expérience et mon silence amenait une attention particulière aux sons environnants. Je me trouvais appelée par des bruits soudain, des bicyclettes et voitures passantes, des piétons bavards, les sons irréguliers des mécaniciens dans le garage en face. Le vent, les feuilles tombantes, tout venait enrichir mon expérience, me demandant d’élargir ma conscience pour inclure tous ces éléments du grand théâtre de la vie qui nous entoure.
Pour le festival T/S, en travaillant in situ, je désire tester mon endurance, ma concentration, mon attention et celle du public. Le temps, comme partenaire constant dans mon travail, devient la maison dans laquelle j’habite.
Je ne requiers aucun soutien technique.












Photos: Viva Blöchlinger